Christianie, chrétienté et christianisme

«Être chrétien peut être entendu comme la confession d’une foi personnelle qui adopte une attitude analogue à celle du Christ, dans la mesure où Christ représente le symbole central de la vie même. Je l’appelle christianie… une nouvelle, mais authentique conscience chrétienne. Cette nouvelle conviction va en s’étendant de par le monde, spécialement à travers les nouvelles générations et ceux qui se rendent indépendants de la sur-institutionnalisation du christianisme, en particulier du christianisme officiel («L’albada de la cristiania» Questions de vida cristiana, 16/01/1992).

Christianie (Christianness) est la rencontre avec Christ au centre de nous-mêmes, au centre de la communauté humaine et au centre de la réalité. C’est une foi personnelle christique qui veut assumer la position du Christ, bien au-delà de la chrétienté médiévale (Christandam) et du christianisme moderne (Christianity) dans lesquelles Christ aurait plus de poids en tant que noyau mystique de la foi que l’Eglise (dimension sacramentale) et le christianisme (aspect social). Il ne s’agit pas d’une réalité totalement nouvelle, mais présente déjà chez les grands chrétiens de l’histoire lesquels, pour cela, se révèlent quelque fois dérangeants pour l’église même. Ce sont les noms d’éminents chrétiens lesquels vécurent leur christianie après avoir «dépassé» la chrétienté et le christianisme: Tertullien, Origène, Jean de Fleur, Dante, Eckhart, Nicolas de Cuise, Saint-Jean de la Croix, Teilhard du Chardin, Thomas Merton, Le Saux, et ainsi de suite. Ce serait une façon nouvelle et pourtant antique de concevoir l’existence christique qui a favorisé une double libération : d’un ordre politique fixe et déterminé (chrétienté) et de l’identification entre le fait d’être chrétien et l’acceptation d’une série déterminée de normes (christianisme).
Pour Panikkar, l’Eglise et même le christianisme doivent évoluer de quelques structures collectives rigides vers une conception plus personnelle, la christianie, vers ce qui est une façon de vivre le fait chrétien au troisième millénaire et qui dépasse le second millénaire, au cours duquel le christianisme serait resté trop imprégné de chrétienté. Il insiste sur la dimension expérientielle et sur l’être Christ, non patrimoine des seuls chrétiens; Parler de christianie est parler d’identité chrétienne qui est bien différent d’une pertinence juridico-institutionnelle et même d’un consensus doctrinal. Il s’agit d’être « un assoiffé du royaume » et de réaliser l’expérience de foi en l’Esprit que fut Jésus-Christ.
La transformation ecclésiale dans l’auto-compréhension christianie ne veut pas moins être que «la contribution chrétienne au changement cosmique dans l’aventure de l’univers» dans lequel nous sommes tous impliqués («L’albada de la cristiania»). Ce qui est le plus novateur dans la position de Panikkar est de prétendre aller au-delà de la pure réalité historique du christianisme pour affirmer que la christianie est un factum, quelque chose qui ne dépend pas seulement de nous. Panikkar précise le sens de ce factum avec une triple distinction: christianisme (aspect social), Eglise (dimension sacramentale) et Christ (noyau mystique de la foi, principe christique). Ce principe christique pourrait servir d’identification authentique pour beaucoup de chrétiens qui s’identifient comme tels et ne se sentent ni éloignés du Christ ni hors de l’Eglise, même s’ils ne respectent pas toutes les lois ecclésiastiques; bien que n’étant pas une position individualiste ce n’est pas une «anarchie incontrôlée» («L’albada de la cristiania»).
En définitive la christianie serait de prendre plus au sérieux le dépassement de la Loi sans tomber dans la tentation de la chrétienté. L’expérience de la maturité chrétienne qui veut transmettre le concept de christianie naît comme une nouvelle espérance: la rencontre avec Christ au centre de lui-même, au centre de la communauté humaine et au centre de la réalité.